Alcool et Athlète: Guide d'une Relation Compliquée

Très peu d'animaux sont capables de métaboliser l'alcool. Hélas non, les éléphants ne peuvent se rendre ivres en ingérant des fruits trop mûrs, il leur faudrait des quantités colossales. Les êtres humains auraient développé une mutation du gène ADH7 qui permet cette métabolisation il y a de cela 10 millions d'années, tout comme nos amis les gorilles, bonobos, chimpanzés, certaines chauve-souris et même les koalas (ils nous cachent des choses ceux-là...). Les premières traces archéologiques d'une boisson alcoolisée remontent à 13 000 ans avant Jésus Christ. Des Dieux de l'alcool ont été vénéré. La France est en permanence dans le top 10 des plus gros consommateurs d'alcool, et 87% des Français rapportent en consommer au moins une fois par an. L'alcool fait donc partie de notre culture, et il y a fort à parier que la plupart d'entre-vous font partie de ces 87%. Mais cela est-il compatible avec la performance sportive et l'hypertrophie ? La réponse vous surprendra peut-être mais il est possible d'en consommer et d'avoir quand-même d'excellents résultats. Le tout est de savoir comment s'y prendre, et que lorsque vous buvez (ce qui arrivera sûrement), vous sachiez en minimiser l'impact sur votre physique et votre performance. Tout d'abord, intéressons-nous à la physiologie de l'alcool et de l'entraînement.


Alcool et perte de poids

Le facteur principal à prendre en compte pour obtenir une perte de masse graisse est d'être dans un déficit calorique. Évidemment la consommation d'alcool n'est pas forcément géniale dans ce sens car cela représente un nombre conséquent de calories liquides (qui donc n'ont pour ainsi dire pas d'effet sur la satiété) à raison de 7 calories par gramme d'alcool. Tout comme les protéines, la conversion d'alcool en énergie est un processus compliqué pour le corps, est environ 20% de ces 7 calories sera perdu lors de sa métabolisation : elle possède donc également une forte thermogenèse.

De plus le corps n'aime pas trop le stocker en graisse de par la complexité du processus. Cependant, l'éthanol étant un poison pour le corps, sa métabolisation est effectuée en priorité par l'organisme, qui va diminuer ses autres activités et ce concentrer sur la chaîne de l'éthanol en plusieurs étapes :

Éthanol → Acétaldéhyde → Acétyl-CoA

Cette dernière sera utilisée dans le cycle de Krebs pour produire de l'énergie au corps en conditions aérobies, la voie métabolique utilisée au repos et en permanence. Un tel afflux d'acétyl-CoA va faire en sorte que le corps va cesser d'utiliser graisses et glucides pour produire son énergie. Au final, l'alcool, plutôt que d'être stocké, empêche que le corps brûle du gras, et sur le long terme, l'organisme aura moins tendance a utiliser cette ressource (1).

Un autre point à évaluer est l'incidence de l'alcool sur le sommeil. En doses faibles à modérées, l'alcool aurait un effet bénéfique sur le sommeil. Cependant, une consommation chronique ou trop élevée aurait l'effet inverse et diminuerait la longueur et la qualité du sommeil en augmentant l'adrénaline et diminuant la mélatonine, tout en augmentant les épisodes d'apnée du sommeil et de mauvaise respiration (2). Un manque de sommeil, en bousculant l'équilibre hormonal global est lié à une augmentant de la faim (plus de ghréline produite, l'hormone de la faim, moins de leptine, celle de la satiété), et il sera ainsi plus difficile de suivre sa diète !

La question de la faim est évidemment critique, car c'est cela qui induit principalement l'échec lors des périodes de régimes ou sèches. Personnellement la fringale me saisit dès que mes lèvres touchent une boisson alcoolisée, mais il a été prouvé que par exemple la bière avait un effet à court terme positif sur le cortisol et la faim. Toutes les boissons alcoolisées n'auraient pas le même effet, et également la réponse de l'organisme serait propre à chacun.

Effectivement, l'effet désinhibant de l'alcool est individuel, et certaines personnes peuvent s'organiser de véritables orgies culinaires une fois inébriés, d'autres non, le contrôle de soi étant variablement impacté. Dans tous les cas, l'alcool va modifier la biochimie cérébrale en augmentant le taux de dopamine et diminuant la sérotonine. La dopamine étant liée à la récompense et au plaisir, la consommation d'alcool a été liée de manière générale a une faim et une consommation de nourriture générale plus importante. Le manque de sommeil potentiel lié a l'alcool risque également d'en rajouter une couche à ce niveau.

Une autre hormone est également impactée par la consommation d'alcool : la testostérone. Une nuit de beuverie diminuera son taux le jour suivant d'environ 25% (3), et si l'on rajoute par dessus une nuit trop courte (qui la diminuera aussi) vous comprenez que le lendemain risque d'être compliqué. Une étude de 2016 par Tang Fui et col. (4) a prouvé que dans le cadre de la perte de poids, avoir un taux de testostérone plus élevé permettrait de perdre plus de gras et de perdre moins de matière sèche (muscles, eau etc). Et cercle vicieux, avoir plus de masse sèche induit une consommation calorique plus importante, permettant d'atteindre un déficit et de sécher plus facilement...


Alcool et performance sportive

Les athlètes sont parfois connus pour leurs célébrations bien arrosées. Et, surprise, l'alcool n'aurait pas trop d'effets négatifs sur la performance. Une étude de 2014 par Prentice, Stannard et Barnes (5) sur une équipe de rugby leur a fait exécuter des tests physiques deux jours avant, et le lendemain d'une nuit de beuverie. Certains de ces derniers auraient consommé plus de 20 verres ce soir-là pour plus de 3 grammes d'alcool par kilo de poids de corps : il se sont vraiment torché.  Et à part le sommeil, la seule autre variable qui aurait été impactée fût la hauteur du saut vertical (donc la puissance du bas du corps) mais aucune autre variable anaérobique n'avait été touchée. Deux jours plus tard, une récupération complète était observée. Ainsi non, notre foie n'explose pas après une nuit de folie, mais il est quand même préférable de prendre deux jours de repos.

Dans le secteur de la musculation, les dégâts sont peut-être plus importants. Une étude de Barnes encore (6) a fait exécuter 300 contractions excentriques maximales sur un dynamomètre isocinétique pour quadriceps (THE leg day) et leur a fait ingérer de l'alcool une demi-heure après, dans une quantité correspondant à 1 gramme par kilo de poids de corps soit environ 6-7 verres standards pour un homme de 80 kgs. Sans surprise, tous les participants avaient les jambes décimées par la suite, mais 36h ou 60h plus tard, ceux ayant bu montrant des performances réduites d'environ 15% par rapport aux sobres.

Cependant, Barnes a effectué des tests similaires en comparant les effets de 1 gramme par kilo de poids de corps ingéré contre un demi-gramme. Une fois encore, la performance avec un gramme avait plongé, mais celle avec un demi-gramme était inchangée ! Voilà un résultat qui devrait ravir les amateurs de spiritueux. En conclusion, essayez de vous limiter à 3 verres d'alcool lors d'une soirée.


Alcool et hypertrophie

L'hypertrophie est certainement la qualité physique la plus difficile à développer tant elle est dépendante de nombreuses variables. Un bon équilibre hormonal en est avant tout la clé. Petit problème, l'alcool joue sur l'hypophyse (glande pituitaire) et diminue la production de FSH (hormone folliculo-stimulante) et LH (hormone lutéinisante). La première est responsable de la production de spermatozoïdes, ce qui n'est pas terrible, mais la seconde est carrément responsable de la production de testostérone, et au total serait diminuée de environ 25%... pas génial lorsque l'on essaye de prendre du muscle : la testostérone, que ce soit chez les hommes ou les femmes, est l'hormone androgène principalement responsable de la prise de muscle en activant la synthèse protéinique via la voie de signalisation cellulaire de la mTOR. De plus, les risques de sommeil perturbé ou diminué associés à l'alcool ont un effet encore plus dévastateur sur les niveaux de testostérone, pouvant aller jusqu'à une diminution de moitié... (7)

Cependant, la science à mis à mal un mythe récurrent lié à l'alcool : que boire trop donnerait des seins aux hommes. Différentes études, utilisant des doses de 0,5g à 1,75g / kilo de poids de corps n'ont montré aucun effet sur le taux d’œstrogène : pas de risque de ce côté-là !

Effectivement le repos est crucial pour l'hypertrophie, et l'alcool l'affecte négativement. Tout le monde connaît la fameuse « fenêtre métabolique ». L'alcool aurait un impact sur les fenêtres courtes et longues en diminuant la resynthèse de glycogène (le corps est occupé à autre chose, évacuer ce dangereux produit et utiliser tout cet acétyl-CoA comme carburant!), augmente la myostatine (facteur de croissance qui limite celle des tissus musculaires) déshydrate, et diminue l'inflammation locale suite à l'entraînement (ce qui est une mauvaise chose, cette inflammation permet au muscle de se reconstruire!). Tous ces processus retarderaient donc la récupération et la reconstruction musculaire : on risque donc de moins bien reconstruire, ou de ne pas avoir récupéré et être prêt pour la prochaine séance où l'on va cataboliser et détruire des fibres à nouveau, créant ainsi un cercle vicieux qui nous empêche de prendre de la masse.

Voilà qui est bien décourageant. Cependant, comme avec tout, la modération peut être une solution : une étude a démontré qu'une faible dose d'alcool (0,5g / kilo de poids de corps) augmenterait en fait le taux de testostérone en jouant sur la réaction d'oxydoréduction du foie (8).

Peut-être que le mythe clamant que la bière serait un bon post-workout aurait du fondement ?


Ce qu'il faut retenir

Alcool mauvais, sport bien ? Il est certain que l'idéal serait de ne pas boire, et qu'il est meilleur de faire du sport et boire que juste boire ! Mais une consommation raisonnable ne devrait pas poser de problèmes. Dans tous les cas, voici mes recommandations :

• Lorsque que l'on boit de l'alcool et mange, éviter les glucides et les lipides, qui seront plus facilement stockés : privilégier protéines et légumes.

• Éviter les cocktails qui auront tendance à nous faire consommer plus et stocker plus, utiliser des sodas lights pour ses mélanges ou se cantonner à l'alcool pur.

• Garder sa consommation en dessous de 0,5g / kilo pour éviter les soucis de récupération.

• Boire après s'être entraîné est certainement le meilleur moment pour le faire, à condition de ne pas se massacrer et rester sous 1g / kilo.

• Si l'on doit prendre une cuite, prendre idéalement deux bons jours de repos après.


Références

1. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4338356/#CR62

2. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2775419/

3. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3767933/

4. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5054608/

5. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24820258/

6. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20012446/

7. https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.03.09.984666v1.full

8. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12711931/